Quand on a un chien sensible ou réactif, il est important de pouvoir collecter des données pour savoir où on en est : voir s’il y a des progrès, mais aussi identifier les facteurs qui influencent sa réaction, soit qui aident notre chien soit au contraire rendent plus difficile sa gestion des émotions. Quand on pense “collecte de données”, les outils qui viennent le plus rapidement à l’esprit sont en général le carnet en papier et le tableau de type Excel / Google Sheet.
Le carnet en papier, c’est très pratique, parce qu’on peut facilement l’emmener avec soi… mais ce n’est pas très pratique pour ensuite analyser les données. Le tableur Excel/Google Sheets, à l’inverse, est très puissant pour analyser les données a posteriori, mais pas très pratique pour l’encodage, surtout lorsqu’ils s’agit de noter des situations qui se passent à l’extérieur, en balade, là où en général nous n’avons pas d’ordinateur sous la main.
En photographie, il y a un adage : la meilleure caméra, c’est celle qu’on a sur soi. Autrement dit, on peut avoir le meilleur appareil du monde, si il reste à la maison parce qu’il est trop lourd ou peu pratique à emporter au quotidien, il ne nous est d’aucune utilité. On fera toujours des meilleures photos avec la caméra de son smartphone qu’on a dans la poche, qu’avec la caméra qui est restée à la maison, puisque dans ce cas-là la photo ne sera simplement pas prise. Et ça tombe bien, en 202x, nous avons pratiquement tou·te·s un super carnet de notes / appareil photo en poche… notre smartphone. Bon, encore faut-il avoir une app adaptée… Et c’est là que Daylio1 entre en jeu.
Qu’est-ce que Daylio ?
A la base, il s’agit d’une app de suivi d’humeur, sous la forme d’un journal avec des métadonnées, qui doit permettre d’encoder ses propres activités et ses propres humeurs afin de repérer des régularités, comme constater que les jours où on a fait une heure de yoga, on s’est senti mieux le reste de la journée.
Le gros avantage pour nous, c’est que l’app est entièrement paramétrable, et que l’encodage d’un événement est super rapide. On va donc pouvoir chacun·e introduire des catégories de suivi qui correspondent à ce qu’il nous intéresse de suivre à un moment donné pour notre propre chien, en fonction de ses sensibilités, et compter sur l’application pour tirer des statistiques et nous sortir des graphiques super visuels pour voir où nous en sommes. Certain·e·s vont par exemple faire une seule entrée par balade, en racontant la balade dedans et en mettant une note d’humeur générale, tandis que d’autres vont préférer encoder une entrée pour chaque stimulus pertinent rencontré durant la balade, quitte à avoir 42 encodages par balade. C’est cette flexibilité qui est justement intéressante. Et, cerise sur le gateau, si vous travaillez avec un·e comportementaliste, vous pouvez exporter des rapports en pdf ou en csv (= un format basique de tableur) pour lui envoyer directement !
Voici un petit exemple d’encodage, pour montrer la rapidité, dans une optique où on encore sur le moment les éléments essentiels d’une rencontre, quitte à revenir éditer plus tard, quand on est au calme, pour compléter.
Pour encoder une nouvelle entrée :
- On appuie sur le “+” en bas de l’écran
- On appuie sur “aujourd’hui”
- On choisit l’humeur (ou le niveau de réaction, selon ce qu’on a choisi de paramétrer)
- On sélectionne les icônes qui s’appliquent à la situation (ici : enfant calme, jeu de ballon, nuit, 10m)
- On appuie sur “enregistrer” tout en bas ou en haut à droite.
Et voilà !
Pour montrer le type de statistiques qu’on peut en retirer, je vais devoir commencer par vous expliquer comment paramétrer l’application, en prenant comme exemple ce que moi j’ai mis en place pour le cas de Thandi…
Comment paramétrer l’application ?
Pour Thandi, qui réagissait fortement en balade sur plusieurs stimuli différents, mon objectif était d’abord de comprendre ce qui la faisait réagir, et surtout pourquoi dans certains cas elle réagissait sur un certain stimulus, mais pas dans d’autres cas. Il fallait donc identifier non seulement l’élément central qui provoquait sa réaction, mais aussi identifier les éléments de contexte qui influençaient sa réaction.
Dans Daylio, on va travailler avec deux sortes d’éléments : les humeurs, au nombre de 5, et les activités, qui ne sont pas limitées.
Les “humeurs” ou le comportement observable
Pour ce qui est des humeurs, j’ai profité de la typologie de la plage BAT de Grisha Stewart : c’est un peu l’équivalent des “zones” verte, orange, et rouge, qu’on retrouve souvent dans le monde de l’éducation canine, mais découpées plus finement et adaptés à cette méthode de travail2. Evidemment, chacun découpera les différentes humeurs selon ce qui est pertinent de relever pour son propre chien…
Dans Daylio, je vais donc transposer ces différents états émotionnels en humeurs. Dans mon cas ça donne ceci :
Dans le cas de Thandi, à cette époque-là, il était important pour moi de faire la distinction entre les cas où elle aboyait mais en restant globalement capable d’écouter et d’accepter notre aide pour décrocher, et les cas où elle était complètement noyée, submergée par ses émotions, donc j’ai utilisé deux humeurs différentes pour ajouter une nuance dans le “rouge”. Du coup, j’ai réuni le vert et le bleu, car cela avait moins d’importance pour moi de séparer ces deux états–là. Ca dépend vraiment de la situation de chaque chien, et de ce qu’on veut pouvoir observer.
Les “activités” ou les éléments influençant la situation
Dans le cas de Thandi, ce que je voulais pouvoir déterminer, c’étaient les stimuli qui la faisaient réagir (ce qu’on appelle des “déclencheurs” dans le jargon), les éléments de contexte qui influençaient sa réaction, et, évidemment, la distance. Or justement, Daylio permet de rassembler les “activités” dans des catégories. Les miennes étaient toutes trouvées : stimuli, contexte, et distance.
Evidemment, les éléments pertinents pour Thandi ne sont pas forcément les mêmes que pour un autre chien : pour elle, par exemple, un humain-sans-chien n’est pas du tout la même chose qu’un humain-avec-chien. De même, on a remarqué qu’elle gérait moins bien certains stimuli la nuit qu’en journée, donc c’était important de noter si un événement s’était passé la nuit ou de jour, pour ne pas comparer des pommes et des poires.
Comme vous le voyez, certains éléments sont très concrets, comme un vélo ou le sens du croisement, mais d’autres éléments sont plus abstraits, comme l’effet de surprise ou l’empilement temporel (c’est-à-dire le cas où il s’était déjà passé des événements qui avaient augmenté sa nervosité – remplit son seau comme dirait Lola – sans qu’elle n’ait eu le temps de redescendre). A mon sens, tout ce qui peut être identifié comme pertinent a du sens, même si c’est subtil. D’autant plus, même, si c’est subtil.
La difficulté que vous pourriez rencontrer est qu’au bout d’un moment, les éléments pertinents changent, car votre chien s’habitue à tel stimulus ou tel élément de contexte qui ne le fait plus réagir, et peut-être que d’autres vont apparaitre. Peut-être qu’il réagissait aux enfants en général, et puis maintenant seulement aux enfants qui courent quand ils sont en short. C’est normal, et il faudra peut-être adapter vos “activités”. Il faut juste savoir que, puisque vous changez votre cadre de référence, il deviendra peut-être plus délicat de comparer la situation avec des statistiques plus anciennes, c’est tout.
Utiliser l’application au quotidien
Maintenant que tout est prêt, vous allez pouvoir utiliser l’application en balade !
Lorsqu’une situation survient (on croise un stimulus potentiellement problématique), on gère d’abord la situation, évidemment, car la priorité sera toujours de d’abord aider notre chien pour minimiser l’impact négatif de la situation, et pour cela iel a besoin de toute notre attention…
Mais ensuite, on peut sortir rapidement son téléphone, et, comme dans la vidéo du début de l’article, ajouter un événement en quelques clics : “+”, “aujourd’hui”, le stimulus, les éléments de contexte, la distance, et on enregistre. Sur la vidéo, j’ai trainé en exprès : en pratique, ça prend moins de 10 secondes. Là on a déjà le minimum. Si on a le temps, on peut ajouter la cerise sur le gateau : une photo du contexte (même si le déclencheur n’est plus là, c’est toujours instructif), quelques notes pour expliquer un peu plus avant la situation… Au pire, on peut même compléter une fois rentré à la maison !
Dans mon cas, j’encode un nouvel événement pour chaque situation potentiellement problématique, mais il est aussi possible de faire une seule entrée par balade. Ce sera moins précis, mais tous les chiens n’ont pas forcément besoin d’une précision millimétrée pour arriver à déterminer la façon dont les différents éléments d’une situation influencent leur réaction. C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’une application hautement paramétrable comme celle-là : chacun peut complètement l’adapter à sa propre situation.
Ceci dit, il faut quand même insister sur un point : pour avoir des statistiques intéressantes, il est important de noter aussi quand ça se passe bien. Si je ne note que les cas où mon chien a aboyé sur un enfant, sans noter les cas où il en a croisé sans problème, je ne verrai pas s’il réagit à chaque enfant qu’il croise ou si c’est une fois sur deux ou une fois sur 10. Voire qu’il réagit à chaque fois qu’il croise un enfant quand il fait nuit, mais ne réagit pas sur eux quand il fait jour.
Analyser les données
Au fur et à mesure que l’on encode des événements, on va pouvoir demander à Daylio de tirer des rapports et des statistiques, sous plusieurs formes différentes.
On va donc pouvoir commencer à observer des récurrences, voir l’évolution de semaine en semaine, de mois en mois : non seulement on verra si notre chien réagit moins dans certaines situations, mais on apprendra aussi à adapter nos comportements pour éviter les situations qu’on a repérées comme problématiques. On pourra aussi, avec l’aide de notre comportementaliste, réfléchir à comment mieux gérer les situations problématiques, puisqu’elles seront maintenant bien identifiées. Par exemple, si j’ai remarqué que mon chien a du mal à gérer ses émotions lorsqu’il croise un vélo à 10 mètres lorsqu’il fait nuit, je pourrai soit changer mes horaires de balades pour aller en forêt, soit être plus vigilant·e dans les endroits où je sais qu’on peut croiser des vélos, afin de mieux les anticiper. Et du coup, j’aurai moins de réactions “rouges” à 10m avec des vélos, et plus de réactions “vertes” à 30 mètres avec des vélos. Ou nous pourrons apprendre des comportements plus adaptés à ces situations précises, comme de se mettre à l’abri le temps que le stimulus passe, ou utiliser des Pattern Games. Bref, avec des données plus précises, on identifie plus précisément les difficultés, et on peut mieux les travailler. Et pour avoir des données précises, il faut avoir un moyen pratique pour les collecter avant qu’on ait tout oublié… comme une application sur son téléphone. Et en bonus, pouvoir suivre visuellement les progrès que l’on fait, c’est du r+ pour nous-mêmes, ça nous permet de rester motivé·e·s pour continuer à travailler sur le long terme sans se décourager.
Un exemple concret
En regardant les données de Juillet 2022, je constate qu’au cours de ce mois, Thandi a super bien géré (humeur verte, “voit sans fixer”) 100% des enfants calmes, mais seulement 60% des cas où on a été confrontés à des enfants actifs (qui courent, jouent, etc). Je vais donc aller regarder plus loin pour voir comment elle a géré les “enfants actifs”, spécifiquement ce mois-là, en cliquant sur l’activité “enfant actif”.
Là je constate que sur 10 situations impliquant un “enfant actif”, 6 fois elle ne s’en est pas préoccupée, 3 fois elle les a regardé brièvement puis s’est immédiatement détournée pour retourner toute seule à ses activités (en BAT, c’est la limite : le vrai travail se fait normalement en zone bleue, le jaune étant déjà trop haut, et au-delà, on intervient3), et dans un cas elle a réagi mais sans être submergée. Je vais donc aller voir dans le journal pour retrouver ce cas ainsi que d’autres où elle a bien géré, et aller voir ce qui s’est passé, pour comparer.
Dans ce cas-ci, il y avait donc une situation très compliquée, avec un chien qui courait vers elle, poursuivi par un enfant. Il y a eu un effet de surprise, et un effet conflictuel pour Thandi avec la présence de l’autre chien (elle adore les chiens, et réagit d’autant plus lorsqu’un humain s’approche alors qu’un autre chien est présent). Connaissant ses difficultés avec les enfants, on comprend mieux pourquoi, avec la surprise et le fait qu’il court vers lui, elle ait réagit. On peut en tirer des leçons pour la suite.
Je compare avec deux autres situations sur la même période : elle observe à une trentaine de mètres, à deux occasions différentes, à 10 minutes d’intervalle, des enfants qui jouent. On voit tout de suite la différence : la distance est plus grande, les enfants ne viennent pas vers elle et ne lui portent pas d’attention, et elle parvient donc à très bien gérer malgré le fait que dans les deux cas il s’agit d’enfants jouant au ballon, ce qui ajoute pourtant de la difficulté. L’analyse a donc permis de comprendre mieux où se situent ses difficultés, et les facteurs sur lesquels on peut jouer pour l’aider à mieux gérer à l’avenir.
Voilà, maintenant normalement vous avez une idée un peu plus concrète de comment Daylio, ou d’autres applications du même style (il y en a pas mal de différentes) peuvent nous aider à collecter des données et à les analyser pour comprendre nos chiens sensibles ou réactifs… en particulier en extérieur, lorsqu’il n’est pas pratique d’utiliser un ordinateur pour encoder tout ça dans un tableur. J’espère que cet outil vous sera utile, et en tout cas que cet article vous aura inspiré et fait imaginer de nouvelles manières de collecter les données pour aider vos poilu·e·s !
- Ou d’autres apps du style, mais je parlerai ici de celle que je connais ↩︎
- Personnellement, j’aime bien utiliser une version légèrement modifiée de cette plage, mais ça nous amènerait trop loin de développer ça ici ↩︎
- Attention, ne vous fiez pas à cet article pour comprendre la plage BAT. La compréhension que j’en avais à l’époque où j’ai noté ces événements n’était pas assez fine. Aujourd’hui je dirais que le jaune est déjà clairement problématique : il signifie que la tension du chien est en train de monter, et qu’il est de moins en moins probable qu’il arrive à décrocher tout seul, donc qu’il vaut mieux intervenir subtilement, par exemple par un mouvement du corps. Si je devais noter le même événement aujourd’hui, je l’aurais certainement noté en bleu, vu qu’elle est arrivée à décrocher toute seule rapidement. Bref cet article n’est pas à prendre comme un cours sur BAT 😅… ↩︎